Les mythes initiatiques de la déesse sumérienne Inanna

Les mythes initiatiques d’Inanna, déesse sumérienne de l’amour et de la guerre, offrent une richesse symbolique et spirituelle qui transcende les époques. À travers ses épreuves de transformation, Inanna traverse les cycles de mort et de renaissance, de conquête de la sagesse, dévoilant des enseignements essentiels sur la maîtrise de soi, l’équilibre entre les forces opposées et le chemin initiatique vers l’illumination.

Par le F∴ S.B. de la Loge Liberté à l’O∴ de Lausanne

Inanna est la déesse sumérienne de l’amour et de la guerre, connue également sous le nom d’Ishtar en akkadien. Fille de Nanna, dieu de la lune, et de Ningal, déesse associée à la lune et à la fertilité, elle est aussi la sœur de Utu, dieu du soleil. Elle fut vénérée pendant la période d’Uruk, dès env. 4000 av J.-C. jusque durant la période néo-babylonienne vers env. 539 av J.-C. Certains éléments de son culte perdurèrent à travers les déesses qui lui succédèrent telles qu’Astarté, Aphrodite ou Vénus.

Un des symboles de Inanna est une étoile à huit branches, représentant le cycle synodique de huit ans de la planète Vénus. Ce cycle, directement lié à l’étoile à cinq branches, permet de comprendre son sens caché. Troisième astre le plus lumineux, Vénus est complexe. Elle peut être visible, selon les périodes, comme l’étoile du matin ou du soir, mais aussi invisible lorsqu’elle est devant ou derrière le soleil. Ces caractéristiques lui confèrent deux attributs importants: la dualité, par sa présence à l’aube et au crépuscule, moment de transition entre ténèbres et lumière (amour vs guerre, fertilité vs destruction), et la transformation ou le renouveau. Ces attributs se retrouvent naturellement chez la déesse Inanna et dans les mythes qui décrivent son parcours de vie.


Représentation de la déesse Inanna avec l’étoile à huit branches, à sa gauche. (Photo © wikipédia)

L’arbre Huluppu

Durant sa jeunesse, Inanna découvre l’arbre Huluppu flottant sur le fleuve Euphrate. Elle décide de le planter dans son jardin sacré à Uruk, symbolisant son désir de construire quelque chose de significatif ou d’initier un processus de transformation. Elle souhaite en tirer un lit et un trône, mais un serpent se loge dans les racines, l’oiseau Anzu dans les branches et Lilith, un esprit malin, dans le tronc. Le serpent est un symbole de régénération et de sexualité, mais il peut aussi être associé aux peurs primordiales. L’oiseau Anzu est une créature mythologique associée à des forces célestes et à la rébellion contre l’ordre divin, car il déroba les tables du destin au dieu Enlil. Enfin, Lilith est une démone représentant les aspects indomptés et rebelles de la féminité.

Face à ces obstacles, Inanna pleure et demande l’aide du héros Gilgamesh. Celui-ci vainc les créatures, puis taille un lit et un trône pour Inanna, soulignant la nécessité de la collaboration et la complémentarité du féminin et du masculin. Cette dualité se retrouve dans le symbolisme de l’arbre qui sort des ténèbres pour s’élever vers la Lumière, illustrant le passage de l’inconscience à la conscience. Ainsi, Inanna parvient à un nouveau niveau de connaissance et de maturité en surmontant les épreuves de l’Arbre de vie.

Rencontre avec le dieu de la sagesse


Placée sur son trône, Inanna porte une couronne, mais ne sait pas encore régner. Elle se rend donc à Eridu pour rencontrer Enki, le dieu de la sagesse, des eaux douces, maître de la magie, médiateur entre les hommes et les dieux. Ce voyage symbolise sa quête de pouvoirs magiques, spirituels et culturels. Durant un moment mêlant séduction et alcool, Enki accorde à Inanna ce qu’elle demande et lui remet une série de « me », représentant des aspects essentiels de la civilisation, tels que les attributs du pouvoir, les arts et métiers, la sagesse, la constance et la capacité à prendre des décisions. Forte de ces nouveaux pouvoirs, Inanna quitte Eridu. L’effet de l’alcool sedissipant, Enki envoie des créa- tures magiques à la poursuite d’Inanna pour écupérer les « me », mais elle parvient à s’en défaire grâce à son intelligence et l’aide de sa fidèle servante Ninshubur.

Cet épisode confère à Inan- na une autorité divine et révèle sa transformation par une compréhen- sion profonde des aspects essentiels à l’enrichissement de son royaume. Grâce à sa ruse et sa détermination, elle est parvenue à duper le dieu de la sagesse et à montrer sa maîtrise des « me » en surmontant l’épreuve du combat contre les créatures magiques.

mythes initiatiques de la déesse sumérienne Inanna Loge maçonnique Suisse
ycle synodique de Vénus, représentant une rose ou une étoile à cinq branches (Photo © wikipedia)

Cycle synodique de Vénus, représentant une rose ou une étoile à cinq branches (Photo © wikipedia)

Mariage avec le dieu berger

Malgré sa position de reine, le lit d’Inanna demeure vide. Elle doit trouver l’amour pour être fécondée, ainsi que ses terres. Deux prétendants sont considérés: un fermier et un berger, représentant l’agriculture et l’élevage, deux activités essentielles dans la société sumérienne. Même si son premier choix se porte sur le fermier, Inanna se laissera finalement séduire par le berger. Cet épisode du mythe laisse une place importante à l’amour et à la sexualité. Le mariage sacré d’Inanna et de Dumuzi repré- sente l’union du ciel et de la terre, du féminin et du masculin, essentielle au cycle de la fertilité et de la régénération. A travers cette union, Inanna marque une étape importante dans la réalisation de sa féminité et son rôle de déesse de l’amour et de la fertilité.


La descente dans le monde souterrain

Le mythe le plus connu de la déesse est certainement celui de son passage du monde des vivants au monde des morts. Les raisons motivant Inanna à se rendre dans le monde souterrain ne sont pas claires, mais certaines hypothèses suggèrent une confrontation avec Ereshkigal, reine du monde souterrain, la recherche de la sagesse à travers une meilleure connaissance des mystères de la mort ou encore un rituel divin obligatoire pour assurer les cycles naturels associés à la régénération.

Dans tous les cas, ce mythe de la descente dans les entrailles de la terre pour renaître dans un nouvel état spirituel suit les étapes rituéliques décrites par Mircea Eliade dans son ouvrage Myths, Dreams & Mysteries. Ces étapes sont :

  • 1) la séparation de son monde quotidien, symbolisant la mort de l’ancienne identité
  • 2) la régression vers un état primaire par les épreuves, testant la capacité à transcender les limitations humaines ou par la purification du corps et de l’esprit
  • 3) la mort symbolique
  • 4) la révélation d’une connaissance cachée et enfin,
  • 5) la renaissance dans une nouvelle identité associée à de nouveaux rôles et devoirs.

Inanna se prépare méticuleusement à son voyage en disant au revoir à toutes ses terres, en prenant avec elle ses attributs royaux et ses sept « me », et en priant Ninshubur de trouver de l’aide pour la ramener si elle ne revenait pas. Après s’être détachée de ses responsabilités terrestres, Inanna frappe à la porte du royaume souterrain. Le gardien des portes, Neti, en informe la reine Ereshkigal qui ordonne de fermer les sept portes du royaume, puis de la laisser entrer. Inanna doit se défaire successivement de chacun de ses attributs royaux et pouvoirs à chaque porte avant de se présenter à Ereshkigal, en se prosternant. En arrivant nue devant Ereshkigal, Inanna montre sa vulnérabilité et son humilité. Ereshkigal déchaîne alors sa colère, tue Inanna et suspend son cadavre à un clou.

Après trois jours et trois nuits sans nouvelle, Ninshubur trouve de l’aide auprès d’Enki. Celui-ci envoie dans le monde souterrain deux créatures androgynes créées à partir de la saleté sous ses ongles. Ces créatures jouent un rôle de miroir de la souffrance d’Ereshkigal. Touchée par cette forme de compassion, Ereshkigal leur propose un cadeau. Les créatures obtiennent ainsi le corps d’Inanna et lui redonnent vie. Cependant, les juges démons du monde sou- terrain disent à Inanna qu’elle ne peut s’élever sans se faire remplacer par une autre personne. Elle désigne alors son mari Dumuzi qui ne s’était pas préoccupé de son absence et qui devra dorénavant passer six mois par an sous terre.

Il existe de nombreuses interprétations de cette mort initiatique. L’une consiste à mettre en évidence les liens complexes entre Inanna et Ereshkigal. Cette dernière serait la partie féminine d’Inanna qu’elle a négligée à travers le temps, sa partie sombre et cachée, avec laquelle elle doit se reconnecter en descendant en elle-même. En ce faisant, elle unifie ses parties et peut revenir à la vie avec un ego purifié et une connaissance des mystères de la mort essentielle à son rôle de déesse de la régénération. Cependant, elle ne peut tourner complètement le dos à Ereshkigal et doit garder le passage ouvert entre les deux mondes. Elle estime que le roi de Sumer, son mari, doit aussi passer par la mort initiatique pour être un grand roi.

Le période de six mois sous terre correspond probablement à l’hiver et au cycle de l’agriculture. En tant que roi, Dumuzi doit donc vivre dans un état perpétuel d’initiation et de partage du pouvoir avec son épouse. C’est l’exigence posée par Inanna pour gouverner son peuple : reconnaître le cycledelavieàlamortetdela mortàlaviepourquelecieletla terre vivent en harmonie avec le cosmos.

Un parcours initiatique

Les mythes d’Inanna illustrent un parcours initiatique riche en enseignements pour les Francs- maçons. À travers les épreuves de transformation, de mort symbolique et de renaissance, Inanna incarne la quête de sagesse, de maîtrise de soi et d’équilibre entre les forces opposées. Ces récits ancestraux éclairent les principes maçonniques, rappelant notamment l’importance de la solidarité, de la résilience et de l’humilité. En intégrant ces leçons, nous pou- vons approfondir notre compré- hension de l’initiation spirituelle et de l’harmonie cosmique, essen- tielle à notre épanouissement personnel et collectif.

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Dumuzi emporté par les démons (gallus) dans le monde souterrain. (Photo © weikipedia)
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